Le magazine de M6 «Zone interdite» a obtenu un accès exclusif à Condé-sur-Sarthe et Vendin-le-Vieil, les deux établissements où s’expérimente le nouveau régime destiné aux narcotrafiquants les plus dangereux. Un tournage rare, mené par Géraldine Levasseur, productrice du film diffusé dimanche 12 octobre à 21 h 10.
Comment est née l’idée de ce film ?
Nous travaillions sur un documentaire sur le blanchiment d’argent quand nous avons vu passer cette loi créant un régime spécifique pour les narcotrafiquants. D’abord cent, puis deux cents détenus concernés. Nous nous sommes dit qu’il fallait absolument suivre ce tournant. Nous avons demandé à tourner, et l’administration a accepté, après quatre rendez-vous un peu tendus et six mois de discussions. Ce n’était pas gagné : c’est un sujet ultra-sensible, et il fallait prouver que nous pouvions travailler sans mettre qui que ce soit en danger.
Comment avez-vous obtenu cet accès ?
En expliquant notre démarche, notre sérieux, et le fait qu’on ne voulait pas faire un film à charge. L’administration savait que nous avions déjà tourné en prison pour «Zone interdite», donc il y avait un climat de confiance. Nous avons suivi tout le processus : l’annonce du dispositif, la préparation, les transferts, l’installation du nouveau régime. Nous avons pu filmer jusqu’à l’évacuation totale d’un établissement et les derniers transferts de détenus le 1er août.
Les transferts, c’est le moment le plus délicat ?
Complètement. C’est classé secret-défense. Nous ne savions pas quand ça allait tomber. Un soir, à 22 heures, on nous appelle : départ à 3 heures du matin. Il fallait être prêts, partir sur le champ avec trois équipes, dont une qui suivait les ERIS, les unités d’intervention de l’administration pénitentiaire. Nous aurions aimé monter dans le camion, mais l’administration tenait au zéro risque.
Qu’est-ce que vous avez pu filmer d’inédit ?
Un conseil de discipline, ce qu’on ne voit jamais. Des scènes à l’isolement, des transferts, la formation des surveillants. Et surtout deux narcotrafiquants qui ont accepté de témoigner, visages floutés. Nous montrons aussi comment les surveillants sont préparés à ce nouveau régime, avec une vigilance extrême sur les risques de corruption. D’ailleurs, une nouvelle loi est en cours pour les protéger, interdire qu’ils soient nommés dans les médias, éviter qu’ils soient menacés.
Comment s’est passée la relation avec les détenus ?
Étonnamment bien. À Condé-sur-Sarthe, l’établissement est déjà au maximum de la sécurité, donc tout le monde sait comment ça fonctionne. Les détenus que nous avons rencontrés étaient calmes, lucides. Ils savent qu’ils ne sortiront pas demain, et certains comprennent même pourquoi l’État veut les isoler.
Et pour les surveillants ?
C’est dur. Il y a une vraie pression, et une peur diffuse de basculer. Dans le film, il y a «Jean», un surveillant qui a fini par être corrompu, puis incarcéré sept mois. Il raconte comment la peur, la fatigue, l’argent peuvent faire céder quelqu’un. Et comment on tente aujourd’hui de prévenir ces dérives.
Qu’est-ce que ce nouveau régime change concrètement ?
L’idée, c’est de rendre la prison étanche avec l’extérieur. Ces gars-là continuaient à diriger leur trafic depuis leur cellule, via les téléphones, les parloirs, les complicités. Là, tout est repensé : parloirs sous surveillance, appels filtrés, contrôles renforcés, activités restreintes. C’est une mise sous cloche. Le but, c’est de couper la tête du réseau.
Vous avez aussi filmé des familles de victimes.
À Marseille, nous rencontrons une mère dont le fils a été tué, et qui voit sur les réseaux les présumés meurtriers s’afficher depuis leur cellule. Pour elle, c’est une double peine. Elle dit : “On leur coupe le téléphone, enfin.” Ce film montre les deux côtés : ceux qui sont à l’intérieur, et ceux qui subissent à l’extérieur.
Certains critiquent un régime trop dur.
C’est la grande question : jusqu’où aller sans franchir la ligne ? Mais quand on voit les moyens de ces réseaux, leur influence, leurs connexions, on comprend que l’État doive reprendre la main. C’est un dispositif expérimental, encadré. Les détenus gardent leurs droits fondamentaux, mais l’administration veut éviter qu’ils transforment la prison en QG.
Vous évoquez aussi des modèles étrangers.
En Italie, à L’Aquila, il y a 152 mafieux dans un régime encore plus strict. Pas de contact avec l’extérieur, tout passe par visioconférence. Ils sont coupés de leurs réseaux financiers, et ça fonctionne : leur pouvoir décline. On s’en inspire. Mais il faut aller plus loin : en Italie, il existe un vrai système de protection des témoins, des repentis. En France, ce n’est pas encore le cas. Nous avons besoin d’une politique qui encourage ceux qui veulent parler.
Le mot «narcotrafiquant» n’est pas anodin. Il s’est même imposé dans le langage commun depuis quelques années.
Ce ne sont plus de simples dealers. C’est une industrie, une économie parallèle qui pèse des milliards. Les méthodes ont changé, la violence aussi. Les meurtres par erreur, les armes lourdes, les pressions sur les familles… ce n’est plus du petit trafic. Nous sommes face à un vrai système organisé, presque une mafia. Il fallait nommer les choses.
Propos recueillis par Raffaël Enault